JdE 14 : La décroissance contre Oui-Oui Planète

Publié le par Martin

Samedi, 14 h 30 : le gros mot est lancé, avec ce forum intitulé Croissance verte et décroissance. En fait, ça fait même deux gros mots (croissance verte et décroissance).
Le débat est animé par Alexandre Jurado, des Verts de Midi-Pyrennées.
J'arrive quelques secondes en retard, pile quand Yves Cochet prend la parole, je suis vernis !

YVES COCHET
Pour lui, "la décroissance : on y est déjà et pour toujours". Inutile donc de débattre des années sur l'opportunité de cette démarche, de toute façon on n'a pas à choisir. Et inutile également de se voiler la face, de faire passer la pilule, il faut au contraire faire passer la dure réalité en "se préparant aux mots choquants". "Comme le dit mon ami Serge Latouche [économiste partisan de la décroissance], il faut décoloniser l'imaginaire".
2008 est l'année de l' "entrée en décroissance". La crise financière n'est pas que financière... A ce propos, il nous indique que la revue Entropia publiera un article par lui signé en Novembre 2009. A ne pas manquer.
L'augmentation des dépenses énergétiques a été plus rapide (jusqu'en juillet 2008) que l'augmentation des revenus des ménages. Par conséquent, les autres dépenses des ménages ont eu tendance à diminuer, car moins prioritaires ou obligatoires que ces dépenses énergétiques. Du coup, durant l'été 2007, la crise des subprimes a émergé du fait de la hausse des défauts de remboursements (dépense non obligatoire des ménages), qui ont concerné environ 100 millions de ménages.
Au printemps 2008 ont suivi les émeutes de la faim, car l'augmentation du prix de l'énergie dans l'agriculture productiviste (très consommatrice) a augmenté les prix à la vente.
La cause de la crise, c'est donc l'augmentation du coût de l'énergie du fait de la déplétion des ressources du sous-sol.
Etape suivante de la crise : chute des rentrées financières pour les banques, ce qui ajouté au mécanisme de titrisation, a produit une perte de confiance et les effondrements boursiers que l'on connaît.
En somme, "je [Yves Cochet] suis un géologue politique !".
"L'énergie est la base de tout. La règle de l'entropie s'impose à tout".
"Sans énergie, pas de matière première".
Or 90% de l'énergie provient du sous-sol (le nucléaire y compris : Uranium...). Le reste c'est du renouvelable "et ça ne sauvera pas la situation"."Le sous-sol c'est merveilleux, et le ciel n'est pas le paradis".
La récession a commencé dès mars 2008 : ce n'est donc pas la conséquence du resserrement du crédit (initié en septembre 2008).  "Les patrons voyous, les traders, c'est l'écume de la vague de la crise financière".
Ce qui nous attend (Cochet tire ces prévisions du site
Leap 2020, peu connu pour son optimisme mais dont les diagnostics se sont jusqu'ici avérés... avérés) :
- un saut quantitatif du chômage dès septembre-octobre (maintenant)
- vraisemblance de la faillite d'un grand pays "dans les semaines qui viennent" : Hongrie, Espagne, Royaume-Uni... après l'Islande, la Lituanie et la Californie.
- les décaissements de la Banque de Chine (qui utilise ses Dollars pour acheter des "Commodities" matérielles, par exemple des terrains agricoles en Afrique) pourraient entraîner un effondrement du Dollar.
En bref, on assisterait à la phase suivante de la crise : la dislocation du système fnancier mondial.

BRUNO CLEMENTIN
Bruno Clémentin est co-fondateur et co-redacteur de la revue La Décroissance. Il a approuvé de la tête plusieurs des remarques de Cochet un peu plus haut.
En 2003 a eu lieu le premier colloque sur la décroissance, lequel a été suivi d'autres.
La décroissance pour Clémentin c'est la prise en compte des limites physiques et non négociables de la planète.
Le mode de vie énergétique de 1,5 milliard d'habitants bouleverse le climat et outrepasse les limites. La décroissance s'impose d'elle-même pour cette population minoritaire.
"La planète s'en sortira, elle nous échappe. Ce qui est en cause, c'est l'humanité". "Quand l'entropie sera maximale, ça sera le chaos".
"Mais le sujet n'est pas épuisé du point de vue de l'humanisme" : il faut s'adapter. "Demain ça sera moins pour les 1,5 milliard de riches". Et "16% des voix ça ne suffit pas pour le bouleversement".
"Il va falloir un rationnement sur la consommation des ressources fossiles... et ce sans armée d'occupation". L'enjeu c'est faire un truc vachement difficile, sans la contrainte, en restant "civilisés".

BRIGITTE
Je n'ai pas noté son nom de famille... et elle n'est pas indiquée sur le programme.
Elle est Verte, allemande et réside en Midi-Pyrenées.
La décroissance cela signifie "renoncer à la culture du superflu", expérience qu'elle a fait personnellement à l'occasion d'un séjour dans des zones arides.
Le mot est nécessaire pour signifier la rupture qu'il faut opérer dans nos comportements, dans nos organisations.
La "croissance verte" ne ferait que "renforcer les hégémonies des pouvoirs".
Il y a des précédents de tentatives de mise en place de systèmes alternatifs : le "socialisme africain" en Tanzanie par exemple. Mais très vite cela a été un échec, et le pays a du recourir au FMI? à la Banque Mondiale, etc. Les échanges mondiaux empêchent l'autonomie.
Il y a donc des structures qu'il faut changer avec le passage à la décroissance.

JEAN-MARC PASQUET
Jean-Marc Pasquet est membre des Verts, et consultant en finances publiques.
Les Verts n'ont pas de dogme ; mais ils ont une idéologie et des solutions. Nous ne sommes plus au temps de trouver des coupables.
Le monde est complexe et hétérogène : il n'y a pas simplement le Nord et le Sud. Se pose le problème de l'émergence des classes moyennes.
Nous sommes dans une grande crise des finances publiques. En France et en Grande-Bretagne, les dépenses de fonctionnement sont financées par les emprunts. Pour l'instant, la confiance tient bon.
Je n'ai pas trop bien compris le reste de son intervention.

THIERRY CAMINEL
Thierry Caminel est un ingénieur Vert des Midi-Pyrénnées.
Il pose la question ; technologie ou décroissance ? Et donne la réponse : décroissance, car la technologie ne répond pas à l'ordre de grandeur des enjeux. Car :
Il faut diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre (pour faire court, le CO2) d'ici à 2050, au niveau mondial (par quatre au niveau des pays développés...).
Les émissions de CO2 peuvent s'exprimer ainsi (vous pouvez vérifier, c'est bon) :
CO2 = (CO2/PIB) X (PIB/Pop) X Pop
Pop désignant la population.
(CO2/PIB) désigne l'intensité en CO2 de l'économie ; (PIB/Pop) désigne le PIB par personne, c'est à dire la richesse matérielle.
En termes de variation (normalement "variation" a pour symbole le Delta grec mais je ne le trouve pas, donc je vais mettre V : donc "VCO2" signifie "variation des émissions de CO2") :

VCO2 = V[CO2/PIB] X V[PIB/Pop] X VPop
En d'autres termes, la réduction des émissions de gaz à effet de serre dépend de la variation de l'intensité en CO2 de l'économie ( V[CO2/PIB] ), de la variation de la richesse par habitant,( V[PIB/Pop] ) et de la variation de la population ( VPop ). Décomposons tout cela :
V[CO2/PIB], la variation de l'intensité en CO2 de nos activités, dépend du progrès technique. Pour réduire cette intensité (et donc réduire les émissions de CO2), il faut du progrès technique, afin d'être plus efficace énergétiquement : isolation des bâtiments, sobriété des moteurs, etc.
V[PIB/Pop], c'est la croissance.
VPop,  c'est l'accroissement (ou la diminution) démographique. Les prévisions actuelles laissent penser que la population mondiale va continuer à augmenter, jusqu'à se stabiliser à hauteur de 9 milliards d'habitants ; soit un augmentation de 50% ( X 1,5) par rapport à aujourd'hui.

1- Scénario de "croissance" :
Supposons donc que nous défendions la croissance, et qu'on espère réduire le CO2 tout en maintenant un taux de croissance de 2% par an, disons (X 1,02 par an soit X 2 d'ici à 2050)... On va voir plus bas ce que cela implique.
Au niveau mondial, cela donne donc (avec la réduction de l'intensité de nos activités comme inconnue Y) :
0,5 = Y X 2 X 2
soit
Y = 0,125 = 1/8.
En bon français : il faudrait que le progrès technique nous permette d'être 8 fois plus efficaces énergétiquement d'ici à 2050, pour à la fois réduire suffisamment le CO2, et voir l'économie mondiale croître.
C'est un espoir absurde : le progrès technique n'a jamais atteint de tels niveaux et il est hautement improbable qu'il le fasse jamais. Voir plus bas sur l'analyse du progrès technique.
Il faut donc réduire le facteur "croissance", mais aussi sans doute réfléchir au facteur "accroissement démographique" : il y a des méthodes de "régulation soft" possibles, comme par exemple mettre fin aux politiques natalistes en Europe, l'éducation des filles dans les PED, la contraception, etc.
2- Le pire scénario serait le suivant ("malthusien") :
On maintient un système économique mondial dont l'objectif est d'augmenter la richesse matérielle de quelques-uns, (la richesse individuelle continue de croître), tout en prenant en compte l'impératif de réduction des émissions de CO2. Les tensions sociales, alimentaires, militaires dans un tel monde pourraient aboutir au pire : voilà l'équation ré-exprimée avec cette fois comme inconnue Z la variation de la population mondiale (avec une réduction de 50% du CO2, un progrès technique raisonnable de 100%, et une croissance de 2% par an soit de 100% en 50 ans) :
0,5 = 0,5 X 2 X Z
d'où :
Z = 0,5
Ce qui veut dire que la population mondiale diminuerait de moitié en 40 ans. Je vous laisse deviner les circonstaces : guerres, famines, épidémies. Evidemment, les européens seraient les moins touchés. L'Afrique et l'Asie du Sud-Est payeraient le plus lourd tribut (tensions militaires actuelles préexistantes, systèmes de santé faibles ou inexistants, agriculture vivrière fragilisée ...).
3- Dernier scénario, le "décroissant": c'est le moins négatif, mais demande beaucoup d'efforts (la baisse de la richesse matérielle dans les pays développés) :
Réduisons les émissions de CO2 de 50%, admettons une augmentation de la population de 50%, et un progrès technique aboutissant à la réduction d'un tiers de l'intensité en CO2 de nos activités, et prenons W comme inconnue pour le taux de croissance de la richesse par personne :
0,5 = 2/3 X W X 1,5
ce qui donne :
W = 0,5
Soit un taux de croissance de -50% sur quarante ans à partir d'aujourd'hui. Ce qui demande une "décroissance" de 1% au moins par an.

Approfondissons le raisonnement en ce qui concerne le progrès technique, et donc l'intensité en CO2 de l'économie :
On peut écrire (vérifiez, ça marche) :
[CO2/PIB] = [CO2/TEP] X [TEP/PIB]
TEP signifiant "tonnes équivalent pétrole", qui mesure l'énergie totale consommée (renouvelable, charbon, nucléaire, pétrole...)
CO2/TEP désigne l'intensité en CO2 de l'énergie consommée ; et TEP/PIB désigne l'intensité énergétique du PIB. OR ces deux intensités, qu'il faut réduire absolument à l'avenir (surtout si l'on prétend maintenir par ailleurs la croissance), on très peu baissé dans les dernières décennies, et ce malgré tout le progrès technique réalisé, et les pics pétroliers que l'on connaît. En effet, la part du CO2 dans l'énergie a diminué de 10% en 30 ans (depuis la crise pétrolière !) et l'intensité énergétique du PIB de 30 % seulement (du fait du développement du tertiare, essentiellement).
D'ailleurs, avec les nouvelles économies émergentes, en particulier la Chine, l'intensité énergétique comme l'intensité en CO2 ont tendance à augmenter à nouveau, depuis quelques années.

Bref : il ne faut pas trop compter sur le progrès technique (et donc sur les énergies solaires, éolienne, géothermique, nucléaire, etc) ; pour réduire les émissions de CO2 il va falloir s'attaquer à la richesse matérielle, aux volumes produits, et donc au volume d'énergie dépensé.
Il va falloir économiser l'énergie, au sens fort du terme (ça ne va plus suffire d' "éteindre la lampe en sortant" !).
Cela demande des changements forts dans les comportements, et dans l'organisation des sociétés.
C'est une tache ardue car le changement, c'est encore plus difficile quand on manque d'énergie...

YVES COCHET
Deuxième tour de table après quelques interventions depuis la salle.
Yves Cochet exprime quelques idées supplémentaires :
"Le projet réformiste [sous-entendu, d'Europe-Ecologie, qu'il appelle aussi "Oui-Oui planète"] ne suffit pas, il faut préparer la rupture".
Le problème c'est que "les mentalités prennent 30 ou 50 ans à changer" (on le voit avec la "crise financière" : tout repart comme avant).
Il faut arrêter le "wishful thinking" (des habitants de Oui-Oui Planète) et se rendre compte de la gravité de la situation : les références historiques qu'il faut intégrer, ce n'est pas le New Deal mais la marche à la guerre (1938-39), les V1 et les V2 lancés sur Londres...
Notre priorité doit donc être de protéger les plus faibles !
"J'avais proposé comme slogan pour les européennes : "Protéger le local, globalement", mais on ne m'a pas écouté... C'est pourtant bien ça, l'enjeu ! "
Il faut renforcer les solidarités locales pour empêcher le chaos.
Et il ne faut pas compter sur l'Union européenne car "je ne suis pas sûr qu'elle existe encore dans 10 ans" [en tout cas, ce pourrait bien devenir une coquille vide]...

Accueil mitigé de la part de la salle.



A bientôt pour "l'écologie, politique de civilisation".

Publié dans Archives 2007-2010

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article