JdE 8 : Désarmement nucléaire

Publié le par Martin

Journée d'Eté des Verts - Europe-Ecologie, deuxième journée : Vendredi 21 août.
9 heures : Plénière sur le Désarmement nucléaire : Bluff, tactique ou gouvernement mondial ?

Jerôme Gleizes, président de la Commission Transnationale des Verts, anime les débat et l'introduit : la question du désarmement nucléaire est de nouveau d'actualité, dans le contexte des renégociations sur le TNP (Traité de non-prolifération), les accords START (USA-Russie) et le discours d'Obama à Prague le 5 avril 2009 qui parlait d'un monde "sans armes nucléaires".

DOMINIQUE LALANNE
Dominique Lalanne est animateur de Abolition 2000 et représentant des ONG à New-York sur la question du désarmement.
Il rappelle que l' "horloge de l'apocalypse" qui calcule notre éloignement par rapport à l'éventualité d'un conflit nucléaire (= minuit), nous envoie des signes très négatifs depuis la fin de la Guerre froide : En 1990, il était "minuit moins 17", aujourd'hui, il est "minuit moins cinq"...
En effet, depuis la signature du TNP en 1970, l'armement nucléaire a changé de nature : La France a par exemple développé le missile M51, de très longue portée, qui nous permet de frapper Pékin. Les signataires du traité ridiculisent leurs engagements. Les USA disposent aujourd"hui de 10 000 bombes nucléaires. Israël dispose de la bombe tout en le niant et en s'affranchissant de toute obligation internationale. L'Inde et le Pakistan sont nucléarisés sans avoir signé le TNP et un conflit régional d'une extrême violence est possible. Il ne manque plus qu'un an à l'Iran pour atteindre le "seuil nucléaire" (= la maîtrise de la technologie et des ingrédients nécessaires à la conceprion d'une bombe). Cette prolifération moyen-orientale pourrait s'accélerer avec l'Arabie Saoudite, l'Egypte, le Koweit...
Sans parler du risque terroriste (les bombes sales).
Mais Sarkozy continue à considérer le nucléaire comme une "assurance-vie" : c'est la doctrine de la dissuasion nucléaire.
Le discours d'Obama à Prague a néanmoins mis le désarmement au goût du jour. Le nouveau président américain propose l'arrêt des essais, une nouvelle limitation du nombre de têtes nucléaires, et l'organisation d'un sommet mondial sur la sécurité nucléaire, pour le désarmement.
La conférence du TNP tenue en mai 2009 a été l'occasion d'un retour aux "13 étapes" pour le désarmement, définies en 2000. Elles n'avaient pas été suivies mais l'ambassadeur zimbabwéen qui présida la session est ambitieux, et travaille à la mise sur pied d'une convention d'élimination des armes nucléaires. Texte qui rencontre l'opposition de principe des puissances nucléaires que sont les USA, le Royaume-Uni et la France.
Le problème politique, stratégique, qui se pose aujourd"hui est celui de la sécurité internationale sans armement nucléaire. Aujourd'hui, on en est aux antipodes : la doctrine de dissuasion rend officiellement possible une frappe atomique d'avertissement en cas de "menace". L'OTAN ou la France pourraient donc "tirer les premiers" s'ils estimaient que l'Iran s'apprêtait à lancer une offensive, par exemple.
Il existe pourtant une instance de sécurité internationale, à l'échelle européenne : l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la Coopération en Europe), créée en 1973, et qui compte 56 Etats membres. Elle est globale (agit dans les domaines politico-militaire, economico-social et humain) et coopérative : c'est un bon modèle pour un éventuel instrument à l'échelle du monde.
En ce qui concerne l'utilité stratégique de la bombe nucléaire, Hans Blix (ancien directeur de l'AIEA - Agence internationale de l'énergie atomique) dans un rapport de 2007 estime que la France n'en a pas besoin : on peut être une puissance importante et se passer de cette arme, comme l'Allemagne fédérale ou le Japon.

ABRAHAM BEHAR
Abraham Behar est président de l'association des Médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire.
Les récents accords russo-américains comportent plusieurs points : la relance des accords START 1 avec la diminution simultanée du nombre de têtes nucléaires, avec une aide technologique à la Russie pour le démantèlement ; l'Uranium devra être vitrifié et l'Uranium enrichi dégradé, afin qu'ils ne puissent être "recyclés" militairement.
Quant aux vecteurs, une discussion globale va se réouvrir sur les ICBM (Missiles ballistiques intercontinentaux, très longue portée). Car il y a un désaccord profond sur la question du bouclier anti-missiles états-unien, auquel les Russes sont très hostiles. Les USA sont de moins en moins motivés par le projet mais sont "coincés" car les gouvernements polonais et tchèques veulent la protection qu'on leur a promise.
Il existe aujourd'hui un grave risque : l'Etat d'Alerte en vigueur signifie qu'une explosion nucléaire sur le territoire états-unien ou russe pourrait déclencher le départ automatique de missiles nucléaires. Il pourrait donc y avoir une "guerre accidentelle" (c'est triste mais ça fait penser à Docteur Folamour).
De ce point de vue il faut être conscient que le nucléaire est encore complètement "dans les normes de la Guerre Froide". En France par exemple, les cibles vérouillées de nos missiles, elles sont en Russie ! Et bientôt, en Chine.
L'armement nucléaire est un argument fondamental d'existence pour la Russie aujourd'hui. Elle y est plus attachée que les Etats-Unis.
Il faut rappeler également que le nucléaire militaire est intimement lié au nucléaire civil, "pacifique" selon le président états-unien Eisenhower. Aujourd'hui, la vente de centrales nucléaires aux pays émergents revient à leur livrer des "kits nucléaires", sous couvert de programme énergétique. D'autre part, la question des déchets se pose avec la même gravité dans les deux cas.
Un autre risque à prendre en compte est le déclenchement d'une guerre nucléaire à petite échelle, locale, entre l'Inde et le Pakistan par exemple, autour du conflit Cachemiri. Un explosion nucléaire pourrait provoquer un hiver nucléaire (projection de particules dans la stratosphère, avec comme résultat une opacité accrue et une baisse relative des températures au sol) qui, même de petite ampleur (baisse de moins de 1°C en moyenne), pourrait avoir des effets dévastateurs sur certaines cultures vivrières, causer une baisse brutale des récoltes, une hausse des prix et des famines dans les pays pauvres.
Le nucléaire militaire est donc, on l'aura compris, un problème important. On en parle partout, même à l'Assemblée populaire de Chine ; mais pas au Sénat ou à l'Assemblée nationale française...

CEDRIC POITEVIN
Cedric Poitevin est expert sur la Convention des armes chimiques au Groupe de recherche et d'intervention sur la paix et la sécurité (GRIP).
La question se pose : comment désarmer dans un contexte diplomatique dégradé (Iran, Russie...) ?
En fait, les mentalités ont changé et laissent entrevoir une fenêtre d'opportunité pour un éventuel désarmement.
En 2007, d'éminents diplomates et chercheurs américains, peu connus pour leur progressisme, ont signé un éditorial soulevant la question du désarmement. Parmi eux figurent Henri Kissinger. Selon eux, les USA tireraient parti d'un désarmement nucléaire, vue leur écrasante supériorité en ce qui concerne l'armement conventionnel.
Au coeur des appareils militaires indien et pakistanais, des officiers donnent de la voix dans le même sens.
La peur d'un accident est présente dans tous les esprits : bombe égarée (comme la bomba étatsunienne perdue de vue dans le Groenland dans les années 1960), collision de sous-marins comme récemment, éventuelle prise de pouvoir des fondamentalistes au Pakistan...
Le précédent des armes chimiques est utile à étudier. Elles furent abolies dans les années 1990, les Etats recevant aide financière et visite de contrôleurs. Elles étaient devenues des armes désuètes et peu populaires. Depuis, les Etats respectent la convention. Mais une condition à remplir pour le succès d'une convention est la suivante : les Etats doivent s'estimer en sécurité. Il faut donc un désarmement "co-évolutionnaire", progressif, en fonction des stoks initiaux.
Un obstacle technique demeure en ce qui concerne les armes nucléaires : l'inventaire sincère des armes par chaque pays.
La tâche qui nous attend est multidimensionnelle, et multi-étapes :
- il faut un débat public sur la question dans tous les Etats ;
- les deux grandes puissances nucléaires, USA et Russie, doivent lancer leur propre dynamique de réduction,
- il faut faire en sorte que la Chine trouve un intéret stratégique à s'y engager également ;
- de même pour les autres puissances nucléaires - cela pose problème pour la France par exemple, très attachée à son arsenal qui lui confère une bonne partie de sa puissance politique et diplomatique actuelle ;
- poursuivre avec des accords sur les armements conventionnels ;
- travailler à la résolution des conflits régionaux, moteurs actuels de la prolifération : Israël-Palestine, Cachemire, Corées...
En conclusion : le désarmement suppose de parvenir à un compromis. Mais une fois que celui-ci est atteint et que le désarmement est engagé, ce dernier crée une norme, qui stigmatise les contrevenants et donc oeuvre à son propre succès. Tenons bon !

CATHERINE GREZE
Catherine Grèze est, depuis quelques semaines, députée européenne des Verts (n° 2 de liste derrière José Bové dans le Sud-Ouest).
Elle rappelle que la question du nucléaire militaire a été fondatrice de l'engagement de nombreux écologistes, et même du mouvement écologiste en général, en particulier dans certains pays : Japon, Nouvelle-Zélande, Allemagne...
Aujourd'hui, "jamais nous ne sommes allés aussi loin dans le débat". En France, un premier progrès avait eu lieu avec l'initiative du président Mitterrand en 1992 (vers une "défense nucléaire européenne") ; mais le président Chirac s'est empressé de revenir en arrière, d'abord avec la reprise des essais nucléaires, puis avec la réaffirmation en 2001 de la doctrine de dissuasion.
L'Union Européenne a une responsabilité historique.
Les armes atomiques empêchent toute gouvernance mondiale.
Mais les initiatives se multiplient : Conseil européen en 2003, déclaration de Rome des Prix Nobel en 2006, Editorial de Kissinger & Co, déclarations de Ban Ki-moon, secrétaire général de l'ONU, selon laquelle le désarmement est la priorité des Nations Unies.
Le Parlement européen a voté le 24 avril 2009 une feuille de route quant à la lutte contre la prolifération ; le Conseil européen devra définir sa position en décembre 2009.
Tout désarmement suppose de rompre avec la doctrine de la dissuasion. Le président Sarkozy en est loin.
Il faut des négociations multilatérales.
Un acte fort serait le retrait des armes états-uniennes du sol européen.
Quant à la lutte contre la prolifération, elle doit prendre en compte le rôle primordial du nucléaire civil dans l'obtention de la technologie nécessaire à l'armement... mais ce lien n'est affirmé par les dirigeants que lorsqu'il s'agit de l'Iran ! Trève d'hypocrisies !

JACQUES MULLER
Jacques Muller est "un des cinq mousquetaires Verts du Sénat", alsacien. Il pourrait bien se retrouver député européen en cas de ratification du Traité de Lisbonne (il était deuxième sur la liste EE dans le Grand Est et serait élu si la circonscription se voyait attribuer un siège supplémentaire).
Il n'insiste pas sur le contexte international, assez mis en lumière par les intervenants précédents.
Par contre, il s'attarde sur les ressorts de la marche vers le désarmement. D'abord, les traités existants, et les traités en cours de construction.
Dans ce cadre, il faut penser la sécurité globale ; et garder à l'esprit la nécessité d'empêcher la prolifération nucléaire tant qualitative (missiles de longue portée, miniaturisation, etc.) que quantitative.
Le TNP est en effet très mal respecté : "La France triche, comme bien d'autres". Il y a une "course qualitative à l'armement".
On croirait qu'il existe des "bons" et des "mauvais" proliférateurs : Israël et l'Iran par exemple.
Le Troisième pilier du TNP, qui autorise le nucléaire civil, est une faille dans son dispositif, une porte d'entrée vers le nucléaire militaire.
"La bombe climatique est devenue le meilleur prétexte pour avoir la bombe tout court", via la technologie soi-disant propre qu'est le nucléaire civil.
En France, on a adopté sans aucun débat préliminaire une nouvelle doctrine : celle du nucléaire tactique. Mais en réalité, le nucléaire militaire français est avant tout une arme diplomatique, et non sécuritaire.
Le nucléaire militaire est un obstacle à un système de défense européen, car "il ne se partage pas". L'Europe ne peut donc se transformer en "Troisième bloc" comme c'était sa vocation à l'origine. le non-alignement n'exige pas le nucléaire, au contraire.

INTERVENTIONS DE LA SALLE

Quelques idées que j'ai gardées des interventions de la salle et des réponses des intervenants :
La connivence entre l'AIEA et l'OMS (Organisation mondiale de la santé) : la première a demandé à la deuxième de ne pas dévoiler le vrai nombre de victimes de la catastrophe de Tchernobyl, histoire de ne pas nuire à l'image de l'énergie nucléaire. De même, l'OMS a censuré plusieurs études épidémiologiques compromettantes pour le nucléaire.
Gérard Borvon, antinucléaire historique de Landerneau, soulève l'ambiguité de l'appel "Ultimatum Copenhague" qui demande à Sarkozy de tout faire pour le climat... mais sans pointer l'illusion du nucléaire civil. Le risque existe que Sarkozy relève le défi et nous resserve une part de radium !

Publié dans Verts

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